Par l’adoucisseur du Quotidien, Laurent Porée
Il y a un peu plus de 20 ans je suis venu à la cuisine alors qu’il ne faut pas le cacher, cela ne m’intéressait guère. Tout d’abord on commence à voir et travailler les bienfaits des premières compotes et purées pour bébé et puis, les enfants grandissant, on s’adapte. Les parents s’amusaient aussi avec les couleurs de ces différentes préparations. Celles que l’on retrouvait dans la cuillère et partout ailleurs ! Début d’un cycle naturel. Les marchés, le local et le bio sont venus petit à petit afin de popoter une cuisine saine pour cette tribu familiale.
A la même époque j’ai passé quelques jours à Mostar en Bosnie-Herzégovine. Entre les jardins publics transformés en cimetières, les murs éventrés, déchirés, les voitures roulant follement le long de l’ancienne ligne de front…. c’est bien l’accueil chaleureux de citoyens, autour de tables généreusement garnies, malgré des moyens plus que modestes, qu’une évidence se révéla : la cuisine est une réelle source de partage, de dialogue, de connaissance et reconnaissance. Un art culturel et séculaire. J’ai toujours en mémoire ces intérieurs feutrés, ces visages marqués, ces visages ridés, mais aussi ces sourires et des pleurs partagés.
C’est la conjonction de ces deux événements qui a marqué et marque encore toute ma vie.
Après ce voyage, l’envie de tout redonner à ce peuple des Balkans était plus qu’une nécessité mais un devoir afin de ne jamais les oublier. Le « Printemps balkanique » et son association Balkans-Transit vit donc le jour en 2000.
L’histoire de La Cantine de Babel a débuté au tout début de l’année 2015 quand j’ai pris conscience que mon emploi dans cette association était lourdement menacé après 15 ans de service dans une association créée en 2000. Engagé dans cette association caennaise depuis le début, il a été assez violent de comprendre que tout allait s’arrêter. Mais rapidement, j’ai trouvé l’énergie pour rebondir et penser à une reconversion. L’envie de mettre les mains aux fourneaux devint une évidence. L’opca de l’association employeur m’accorda un soutien pour commencer une formation-reconversion en novembre 2015. Elle dura 9 mois avec une alternance entre le côté pédagogique du groupe FIM à Saint-Lô et la pratique au restaurant Le Goût Sauvage de Caroline Vignaud. Un grand merci à elle pour son attention et sa vigilance et pour la rencontre avec Sophie. Sophie était une personne inoubliable avec qui je partageais des rires et de beaux échanges sur nos parcours, nos douleurs, nos souhaits, nos questions.. Elle nous a quitté trop tôt, trop brutalement. Mais elle m’a laissé des gestes, des passions qui sont à ce jour tant importantes. C’est à elle que je dois ma passion pour la pâtisserie.
Passer 70% de cette formation dans cet unique restaurant bio, local et « sauvage » de Saint-Lô, mais aussi de Normandie, me donna de nombreuses connaissances et le courage pour inventer et mettre en place La Cantine de Babel, un espace de restauration bio et local, naturel et soucieux de l’environnement.
Suite à cette formation, mon licenciement économique et l’obtention du CAP Cuisinier, l’écriture d’un projet de création d’entreprise débuta. Je me rapprochai ainsi pour cela de Crescendo à Flers pour trouver le moyen de créer une société en toute intelligence. Crescendo, Coopérative d’Activité et d’Emploi, est une structure collective ouverte à toutes celles et ceux qui souhaitent vivre de leur savoir-faire de façon autonome et créer progressivement leur emploi dans un cadre sécurisé.
Tout ce chemin n’a pas été simple (des journées de doutes il y en a eu). Je me suis beaucoup aidé de lectures également. Ainsi, j’ai eu la chance de recevoir le hors série « Food-Reconversions » de 180°C, (février 2016). Je me suis arrêté particulièrement sur un article fort intéressant sur Ingriss Grass (spécialiste dans le coaching professionnel et étudiant en ligne). Elle y raconte son expérience de reconversion et sur le fait que l’on ne repart pas de rien. Jusqu’à présent je pensais vraiment reprendre tout à zéro. Mais dès lors que l’on comprend cela, des choses enfouies depuis un certain temps se réveillent. A partir de ce moment un nouveau souffle arrive, et tant mieux, car pour être cuisinier il y a bien d’autres compétences à avoir que le simple fait de faire de jolies assiettes !
La cuisine a donc occupé depuis 20 ans une place de plus en plus importante. Mais en 2008 une nouvelle étape apporta de l’amplitude à cette passion. En 2006, un choix de vie m’amena à m’installer avec ma famille dans la Manche, à Carentan. Deux ans après je créai l’association « Mange ta soupe ! » qui me donna envie de remettre toutes les questions qui m’animaient depuis longtemps mais cette fois-ci sur la place publique et avec la société civile. Ce projet me permit d’aller à la rencontre de nombreuses cuisines, de producteurs et paysans.
Vous le comprenez, La Cantine de Babel ne tombe donc pas comme un cheveu sur la soupe ! C’est une conjonction entre ma volonté de défendre des valeurs du « mieux manger », avec des produits respectueux de l’environnement et de l’économie locale (pour cela j’ai adhéré à l’alliance des cuisinier du mouvement Slowfood), et une volonté de faire découvrir les cultures du monde à travers le prisme formidable de l’art culinaire. Cet aspect, je le dois à mon travail et à mon engagement associatif qui me permit d’aller pendant 20 ans de nombreuses fois dans les pays de la péninsule balkanique.
En créant « Mange ta soupe ! » j’ai rencontré Philippe Enée qui, en tant que membre fondateur du convivium Slowfood Terre Normande, ne pouvait que partager toutes ces valeurs. C’est ainsi que, dans la confiance et le partage, la popote de La Cantine de Babel se fera dans la cuisine de l’Auberge Paysanne. La Cantine de Babel se construira bien sûr sous le regard bienveillant de Philippe.
La Cantine de Babel est issue d’une volonté de trouver une nouvelle voie et un sens à la vie. Une volonté de partager des valeurs, celles qui nous permettront de mieux vivre ensemble et de participer activement à laisser le moins possible de traces nuisibles sur notre Terre et laisser ainsi un avenir plus propre et serein à nos enfants. Une envie de créer une nouvelle dynamique sociale entre la ville et la campagne, travailler le mieux vivre ensemble.